dimanche 22 janvier 2017

Le faux dilemme du verre à moitié plein

Choisir son verre, c’est choisir son soldat. La palette est infinie. 
Quelques conseils pour que les arômes puissent 
se déployer en toute liberté.

 


Êtes-vous du genre à voir le verre à moitié vide ou à moitié plein ? Il y a plusieurs réponses possibles. Que vous soyez d’un naturel pessimiste, optimiste, que vous soyez pragmatique : il est à moitié vide quand on a commencé à le boire ; à moitié plein si on le remplit. Ou que vous soyez porté sur les jeux de mots : « Verre plein, je te vide ; verre vide, je te plains. » Dans la vie de l’amateur de vin, ce dilemme est un faux problème. Parce qu’un verre de vin à moitié vide est en fait généralement plein. Les verres remplis à ras bord sont une hérésie, ils annihilent tout l’intérêt du verre, tout plaisir de la dégustation, jusqu’au goût même du vin. Le bon niveau est l’épaule du verre. C’est la zone la plus large du calice, elle détermine le niveau optimal de remplissage, à ne jamais dépasser. La philosophie n’a pas sa place ici.

Ballon, tulipe, INAO..

 

Pourquoi l’épaule est-elle si importante ? Parce que c’est ici que les arômes se déploient le mieux. Plus le verre est épaulé et plus le vin s’exprimera. Utile pour un vin puissant, fatal pour un vin léger. En réalité, le véritable dilemme n’est pas de savoir comment le verre est rempli mais de quel verre il s’agit : un ballon, une tulipe, un gobelet, un verre INAO ? Et quelle est la hauteur de la cheminée, le diamètre du buvant, la largeur d’épaule, la taille du pied, la longueur de la jambe ?
Choisir son verre, c’est choisir son soldat, son arme pour traquer les arômes. Le choix est infini, des gigantesques verres à l’américaine aux minuscules godets des bistrots parisiens. Une cheminée resserrée – la partie supérieure du verre – concentre les arômes tandis qu’évasée, elle les disperse. Cela vous semble compliqué ? Nous n’avons pas ­encore abordé la forme et le rebord du verre. Plus il est fin et plus le vin semble gagner en élégance, se posant avec plus de précision sur la langue. Un diamètre réduit fera filer le vin vers le fond du palais tandis qu’épaté, il l’étale dans toute la bouche.


Calice ovoïde

On parle du champagne ? Si vous en êtes encore au débat de la flûte ou de la coupe, vous retardez. C’est le verre à vin au calice ovoïde qui prime désormais dans les dégustations. Les avis sont en revanche partagés sur la nécessité d’en ciseler le fond – c’est-à-dire de le rayer ­légèrement –, pour accentuer l’effervescence et par conséquent la ­remontée des arômes. Je vous épargnerai les théories sur la meilleure façon de porter le calice à la bouche. Tout cela vous semble fumeux ? Testez par vous-même. Servez un vin identique (ou un champagne) dans trois verres différents, il s’exprimera selon. Des goûteurs aguerris sont déjà tombés dans le piège, persuadés qu’ils buvaient plusieurs ­cuvées.
La veille de la rédaction de cette chronique, invitée à un déjeuner dans un restaurant grand chic à deux pas des Champs-Elysées, j’ai vu mon hôte présenter ses excuses à l’un des invités pour les verres servis. Ils étaient pourtant de belle facture, fins et élancés. Mais encore trop grossiers pour ce dernier. L’invité en question était en effet… autrichien. La patrie des plus grands fabricants de verres à dégustation : Riedel et sa filiale Spiegelau, ainsi que son concurrent Zalto.


Léger comme l’air

Si vous voulez engager la discussion avec un professionnel du vin, ne lui demandez pas quelle est sa bouteille préférée, demandez-lui son verre favori pour travailler. Certains ne jurent que par l’Impitoyable de Peugeot, qui accentue toutes les facettes du vin, y compris ses défauts. D’autres se déchirent entre le Vinum de Riedel, très précis et décliné en une large gamme pour chaque cépage, et l’Universel de Zalto, léger comme l’air et au cristal si élastique qu’on peut le tordre sans le briser. Le béotien ne se doute pas du combat que se livrent les verriers. Riedel a riposté en sortant récemment la gamme Superleggero. On la sent à peine dans la main mais le porte-monnaie note bien sa présence, à presque 100 euros le verre. Mieux vaut ne pas avoir les doigts glissants.


Article du 21 Janvier 2017
Par Ophélie Neiman




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